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Parution : L’écoute des mondes


L’écoute des mondes explore la puissance du sonore à travers neuf textes issus de colloques de Cerisy et de deux autres inédits qui nous invitent à une traversée auditive en trois temps : l’écoute des paysages, l’écoute de l’autre et l’écoute audio-visuelle. Ces approches montrent que l’écoute n’est jamais passive : elle est correspondance, enquête, empathie. Elle brouille les frontières entre sujet et objet pour faire advenir une connaissance ambulatoire du monde à la fois immédiate et profonde. Cet ouvrage est une invitation à tendre l’oreille, à laisser le monde prendre possession de nous, et à découvrir ce qui persiste, la mémoire sonore, toujours prête à renaître.

Tixier, Nicolas (Ed.). (2025).
L’écoute des mondes. Paris : Hermann. 198 p.
Cerisy – Les Traversées de Cerisy.
En ligne https://www.editions-hermann.fr/livre/l-ecoute-des-mondes-nicolas-tixier

Introduction par Nicolas Tixier

Quiconque est venu au Centre culturel international de Cerisy sait que ce sont les cloches qui rythment les journées des colloques. Ce sont d’abord celles du château, qui sonnent l’heure des repas. C’est ensuite celle plus petite que manipulent à la main les directrices et directeurs de colloques pour sonner la reprise des travaux. Mais les sonorités cerisiennes ne sont pas uniquement des donneurs de temps. Elles sont aussi des marqueurs de lieu propres à chaque espace : le son des pas dans les graviers qui accompagnent nos marches et discussions, le son de nos mêmes pas sur les antiques parquets cirés à l’étage, le son métabolique à la limite du brouhaha, des temps de déjeuner et de dîner dans le réfectoire ou encore le son du ping-pong à la cave qui nous appelle à rejoindre une soirée et c’est aussi le silence des chambres, qui nous plonge dans un calme dont on est surpris de son pouvoir apaisant.

Le château de Cerisy-la-Salle est situé au creux d’un vallon normand, en retrait de l’excitation du monde. Il est pourtant un de ces lieux de savoir et de culture où résonne le monde. Depuis 1952, il s’y pense notre société et les arts par des colloques et des séminaires. Cerisy est un lieu d’écoute, écoute de l’autre, écoute du monde. L’écoute n’y est jamais passive, car qui écoute correspond. L’écoute est le signe manifeste de l’attention du corps tout entier qui se trouve, en quelque sorte, en état d’éveil auditif, alerte à tout ce qui peut se passer autour de nous. Lorsque nous écoutons, nous dit l’anthropologue Tim Ingold, « ce n’est pas une façon pour nous de prendre possession du monde. C’est au contraire une façon pour le monde de prendre possession de nous ». Ce n’est alors pas un des moindres paradoxes dans ce lieu de l’écoute qu’est Cerisy, qu’aucun colloque ne se soit encore tenu justement sur l’écoute… ou même sur le son.

Pratiquer l’écoute de ce qui nous entoure invite à suivre la perspective du pragmatiste William James pour qui « Le monde est plein de récits singuliers qui se déroulent parallèlement, commencent et finissent à divers instants. Ils s’entrecroisent et s’entremêlent par moment, mais notre esprit ne peut les faire coïncider complètement ». En cela l’écoute nous incite à avoir une connaissance ambulatoire du monde, à enquêter, pour prêter attention aux récits et pour les penser depuis leurs modes d’existence afin d’accueillir ce qui arrive ici et maintenant, dans l’expérience immédiate. Écouter est aussi une façon de se rendre attentif à la trame de fond de nos expériences quotidiennes en suspendant pendant quelque temps tout jugement pour se donner la chance d’une rencontre, d’un apprentissage, d’une prise de conscience ou d’un moment d’enchantement. Et puis nous savons depuis Walter Benjamin que celui qui écoute une histoire forme société avec celui qui la raconte.

Alors, comment sonne-t-il ce monde, dans ce qu’il a de merveilleux autant que dans ce qu’il a de dramatique ? Quelle empathie au monde le sonore donne-t-il à entendre ? Pour Jean-Paul Thibaud, que l’on retrouvera en postface, l’approche du monde par le sonore remet en question l’idée d’une distinction claire entre celui qui perçoit et ce qui est perçu, le sujet et l’objet, l’intérieur et l’extérieur, l’individu et le monde. Au lieu de s’appuyer sur un mode de pensée dualiste et substantialiste, approcher le monde par le sonore ouvre une alternative à une ontologie des choses par une attention au médium et aux flux impliqués dans et par l’expérience sensorielle même.

Mont Mézenc, workshop master terrain, esaaa, octobre 2022. Crédits : Nicolas Tixier

Grâce à la base de données accessible sur le site internet de Cerisy, pour composer cette traversée, nous avons exploré les sommaires de plus de 650 colloques édités, puis lu de nombreux articles pour en sélectionner 9 à partir de trois registres d’écoute : l’écoute des paysages, l’écoute de l’autre et l’écoute audio-visuelle.

Le premier registre, l’écoute des paysages, relève d’une écoute que l’on pourrait qualifier de plein air.
L’article L’écoute paysagère. Des représentations du paysage sonore de l’architecte et géographe Pascal Amphoux a été présenté en 1992 au colloque Paysages ? Paysage ? Il nous offre une solide introduction aux écoutes du Monde sonore en en distinguant trois modalités radicalement différentes. Celui du compositeur Nicolas Frize, L’écoute au service de la ville : écoute fonctionnelle, écoute culturelle, est issu du colloque de 1993 Espaces publics : esthétiques de la démocratie. Cet article, pour partie repris par son auteur pour cette édition, déploie les qualités sonores des espaces urbains, pour les intégrer en phase de conception autant qu’en composition et postule que leur prise en compte est un formidable outil de la démocratie au quotidien. Le troisième article est celui d’un pianiste et compositeur, Michel Benhaïem. Il nous entraîne dans de magnifiques correspondances entre la musique et les paysages nocturnes chez Bartok, Chopin, Debussy et Schumann avec Quelles nuits pour la musique ? L’article est issu du colloque de 2004 La nuit en question(s).

Le deuxième registre est celui de l’écoute de l’autre. Il s’intéresse à l’altérité présente dans toute écoute quand elle sait être une rencontre.
L’article sur La méthode des itinéraires ou la mémoire involontaire du socio-anthropologue Jean-Yves Petiteau a été présenté en 2006 au colloque L’habiter dans sa poétique première. L’écoute est la clef de voûte de la méthode des itinéraires qu’il a mise en place dans les années 1980, et où, nous précise-t-il, la parole de l’autre n’est reconnue qu’en sensibilité de celui qui l’écoute. Celui de l’anthropologue du sonore Patrick Romieu, Quelque part entre murmuration et réel. De la partition intérieure au texte. Approche sono-anthropologique, est issu du colloque de 2021 portant sur L’enchantement qui revient. Ce texte, fortement repris par son auteur pour cette édition, nous parle de l’expérience d’une écoute attentive de l’ordinaire, d’une écoute des échanges les plus évidents ou les plus discrets qui président à l’échafaudage de la moindre des situations sociétales et de la difficulté de sa mise en mots. Le troisième texte, celui de Pauline Nadrigny nous entraîne à l’écoute du monde animal avec « La tête dans le nid » : Les portraits sonores de Knud Viktor. Issu du colloque de 2021 Portraits de pays. Textes, images, sons, la philosophe nous donne à saisir l’art de Knud Viktor, comme un jeu de contrastes entre le minuscule et l’environnement, l’intime de la captation et la distance compositionnelle, l’amour, la défense d’un lieu et la violence de la prise de son, le naturalisme patient et la composition assumée.

Le troisième registre est celui de l’écoute audio-visuelle. Il s’intéresse à la création sonore en théâtre, en musique et en cinéma.
L’article Bruitages et comédies avant la musique concrète du compositeur et chercheur Martin Laliberté a été présenté en 2014 au colloque Les spectacles populaires : formes, dispositifs, diffusion (1870-1945). Il nous entraîne dans les bruits et les sons des mises en scène parisiennes du début du XXe siècle avec un formidable catalogue d’effets sonores, préfigurant aussi l’art radiophonique. Celui de la compositrice et musicologue Évelyne Gayou, Musique concrète, sérendipité et créativité : la dialectique du « faire & entendre », est issu du colloque de 2011 La sérendipité dans les sciences, les arts et la décision. Il est en continuité presque directe avec le précédent en revenant sur l’invention de la musique concrète par Pierre Schaeffer et le développement d’une pratique de création dans laquelle le « faire » du geste moteur devient prépondérant sur « l’entendre » de la perception. Enfin, le troisième texte, celui du chercheur en études cinématographiques Martin Barnier, nous met à l’écoute du son du vent chez Grémillon. L’article est issu du colloque de 2013 portant sur Jean Grémillon et les quatre éléments. Il analyse comment chez Jean Grémillon, musicien avant d’être cinéaste, le souffle du vent se fait entendre et est tour à tour souffle de vie, force de l’amour, mais aussi avertissement d’un danger et présage de mort.

Ces neuf textes, chacun à leur façon, nous incitent à prendre le temps d’écouter le monde (je reprends là le beau titre de l’émission de Monica Fantini sur Radio France International), sont tout autant des invites à entrer en correspondance avec lui et à le faire sonner. Ils sont encadrés par deux textes inédits. Le premier, Machines à écouter, nous est donné par Carlotta Darò. L’historienne de l’art et de l’architecture nous propose de faire un tour du côté de la vie quotidienne des techniques, et nous rappelle à quel point aujourd’hui, non sans paradoxe, l’écoute implique une multitude de dispositifs techniques, mécaniques, électroniques et numériques qui dans notre quotidien se superposent au fonctionnement de nos oreilles biologiques. Le second nous est donné par Jean-Paul Thibaud, sociologue, connu entre autres pour ses travaux sur les ambiances urbaines et les sensibilités contemporaines aux enjeux socio-écologiques. Il nous entraîne Aux franges de l’audible, avec une attention aux mondes à peine entendus et qui pourtant participent à donner une tonalité à toute vie.

Et puis, pour ne pas en finir, on pourra toujours se poser la question de ce qu’il nous reste du sonore quand quelque chose s’éteint, a disparu, est suspendu ou encore loin de nous. Sa mémoire, sa traîne, comme dirait Patrick Romieu, est toujours là, prête à être remémorée. Même après que le son ait cessé, son impact et son souvenir continuent de résonner en nous. Le son est par nature ubiquitaire jusque dans son absence. Un silence est toujours une énigme, et tout lieu, mémoire sonore autant que fiction sonore.

Table des matières

Introduction L’écoute des mondes — par Nicolas Tixier
Ouverture Machines à écouter — par Carlotta Darò

I. L’ÉCOUTE DES PAYSAGES

1. L’écoute paysagère — par Pascal Amphoux
2. L’écoute au service de la ville : écoute fonctionnelle, écoute culturelle — par Nicolas Frize
3. Quelles nuits pour la musique ? — par Michel Benhaïem

II. L’ÉCOUTE DES AUTRES

1. La méthode des itinéraires ou la mémoire involontaire — par Jean-Yves Petiteau
2. Quelque part entre murmuration et réel — par Patrick Romieu
3. « La tête dans le nid » : les portraits sonores de Knud Viktor — par Pauline Nadrigny

III. L’ÉCOUTE AUDIOVISUELLE

1. Bruitages et comédies avant la musique concrète — par Martin Laliberté
2. Musique concrète, sérendipité et créativité : la dialectique du « faire & entendre » — par Évelyne Gayou
3. Le son du vent chez Grémillon — par Martin Barnier

Postface Aux franges de l’audible — par Jean-Paul Thibaud

Plus de détails dans le sommaire en ligne : 

Françoise Acquier

Françoise Acquier

Chargée de ressources documentaires Equipe Cresson - UMR Ambiances Architectures Urbanités - Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Grenoble.

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OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Françoise Acquier (26 août 2025). Parution : L’écoute des mondes. Le Cresson veille et recherche…. Consulté le 14 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14ibu


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